La pauvreté et la famine
Dépressions économiques cycliques
De la dépression économique du début du 18e siècle – créée en partie par les mesures protectionnistes anglaises de la fin du 17e siècle – résultèrent les conditions miséreuses d’une proportion croissante de la population et les disettes. En 1730, « l’état présent de l’Irlande » était « très pauvre » « dans des circonstances très malheureuses », selon un pamphlet de 1730 attribué à SWIFT (doc. A, p. 6-7).
En 1740-1741, après un hiver rude et 400 000 morts, les « gémissements de l’Irlande » furent tels que l’on adressât des pamphlets aux députés (doc. B), récapitulant les raisons de la disette et proposant des remèdes – ici le manque de crédit (capital pour investissement) et la création d’une Banque d’Irlande. Vers 1779, la situation restait toujours critique : chômage, disette, banqueroute du pays, etc. (doc. C , p. 4-5).
Condition des tenanciers
Dans son Voyage en Irlande, traduit et publié en France en l’an VIII (1799-1800), l’agronome Arthur YOUNG décrit le cercle vicieux qui mène le fermier-paysan irlandais à une vie de subsistance et de pauvreté : l’extrême morcellement des terres, l’absence de capital pour investir, le manque de protection (doc. D, p. 44-45).
L’absence de protection
Les nécessiteux n’étaient pas secourus par la paroisse, comme l’étaient les pauvres en Angleterre : « L’Irlande n’étant point sujette aux lois anglaises touchant les pauvres, les gens vont d’un endroit à l’autre et s’établissent où ils veulent. Une famille vagabonde se fixera au-dessous d’un lieu sec, et avec quelques bâtons, genêts, fougères, etc., se fera une cabane beaucoup plus méchante qu’une étable à cochons en Angleterre, vivra comme elle pourra, en travaillant, mendiant et volant ; si le voisinage a besoin de bras, on ne fait pas attention à eux, la cabane devient une chaumière » (doc. D, p. 57).
La nourriture abondante ou la disette?
Dans deux extraits, YOUNG décrit misère et abondance selon la contrée. Il compare le régime alimentaire du paysan anglais et du paysan irlandais : pain et fromage mangés de façon frugale par l’Anglais contre « le grand plat de patates posé à terre, toute la famille accroupie autour, dévorant une quantité incroyable de cette nourriture » (doc. D, p. 68).
« Mais, quant à cette nourriture, il y une circonstance qui doit beaucoup la recommander, ils en ont tout à leur saoul ; et, qu’il me soit permis d’ajouter que c’est plus que les superfluités d’un Anglais n’accordent à sa famille. Qu’on examine scrupuleusement la recette et la dépense d’une chaumière anglaise, et on verra qu’on ne peut se procurer le thé, le sucre et les liqueurs fortes qu’en affamant le ventre : je n’assurerai point que les patates soient une meilleure nourriture que le pain et le fromage ; mais je ne doute nullement que le ventre plein de l’un ne vaille mieux que le ventre moitié plein de l’autre ; je doute encore moins que le lait de l’Irlande ne soit incomparablement meilleur que la bière, le genièvre ou le thé de l’anglais ; et s’il l’est pour le père, combien à plus forte raison n’est-il pas pour les enfans, le lait pour ces derniers est la nourriture, la santé, la vie même. » (doc. D, p. 65-67)
Ailleurs, il note les bas salaires agricoles et la détresse qui s’ensuit : n’ayant que les pommes de terre et le lait caillé pour se nourrir, les Irlandais devaient acheter le lait car ils étaient trop pauvres pour posséder une vache, alors que vingt ans auparavant en même endroit, tous avaient au moins une vache.
Prise en considération de la pauvreté

E – A Letter to the right honourable Henry Grattan, on the state of the labouring poor in Ireland / Francis Sandys.- Dublin : B. Dugdale, 1796
À la fin du 18e siècle, Henry GRATTAN, désigné comme « ami du peuple » et symbole de l’ascendance protestante (qui à ce moment-là essayait de s’affranchir de Londres et de trouver un rapprochement avec les catholiques), s’intéressa ainsi à la pauvreté sans faire de distinction de religion, et essaya d’améliorer les conditions sociales et politiques pour tous (doc. E) sans pour autant s’adresser aux causes identifiées par les commentateurs de l’époque.